Site d’éperon incliné vers le confluent de la Vilaine et d’une vallée sèche à l’ouest, Vitré est assise sur les marches séparant la Bretagne de l’Anjou, du Maine et de la Normandie. Cette position stratégique a permis à ses seigneurs de passer maîtres dans les renversements d’alliance : révolte contre Henri II d’Angleterre en 1160, alliance avec Saint-Louis contre le duc de Bretagne, Pierre Mauclerc vers 1230, puis, après le passage par mariage aux Laval Montmorency en 1251, rôle d’arbitre entre Blois et Montfort dans les guerres de succession de Bretagne. Son basculement à la Réforme avec les Coligny lui vaut encore un bombardement en 1590.
L’assiette actuelle du château, à la pointe de l’éperon et en surplomb de la chaussée du Rachapt franchissant la Vilaine avec ses moulins, n’est occupée qu’après l’abandon d’un premier château de terre et de bois assis dans le bourg monastique de Sainte-Croix au sud et mentionné dans le troisième quart du XIe siècle. Le noyau initial du château correspond peut-être à une tour résidence romane, dont la grande porte à rez-de-chaussée subsiste.
Le château triangulaire actuel est l’œuvre d’André III de Vitré, qui fonde la collégiale de la Madeleine dans sa basse-cour en 1209, puis, dresse entre 1222 et 1230 une enceinte urbaine ex nihilo autour de l’église paroissiale Notre-Dame mentionnée en 1060. Ce programme de grande ampleur, dûment attesté par les textes qui signalent devant le château un « castrumculo meo » et des expropriations de maisons pour la construction des murs et des fossés, aboutit à une clôture de huit hectares, percée de trois portes et d’une poterne, qui a donné à la ville sa configuration actuelle. Au début du XVe siècle, l’explosion du commerce de la toile fait la fortune de la ville et de ses seigneurs. Le château est réaménagé par chemisage des deux tours d’angle face à la ville, dites Saint-Laurent et Madeleine, pour porter un programme résidentiel raffiné intégrant une étuve. Dans le même temps, la tour d’angle sud-est de l’enceinte urbaine, dite de la Bridolle est chemisée.
Dans la course à l’armement que connaît la Bretagne avant sa perte d’indépendance en 1488, le front sud de l’enceinte urbaine, désormais exposé aux tirs des collines toutes proches, est renforcé de deux tours à canon en fer à cheval, dites des Claviers et Gâtesel, tandis que les deux portes principales, dites d’En Haut et d’En Bas, sont précédées d’un boulevard d’artillerie en fer à cheval.
Une enceinte du XIIIe siècle
L’enceinte est enfin matelassée de bourrelets de terre doublant les murailles avant et après le siège de 1590. Vite abandonnée et rasée, cette enceinte a resurgi dans les mémoires collectives en 1987, quand l’arrêt de la démolition de la tour des Claviers, puis son classement d’office au titre des monuments historiques ont permis son intégration dans le soubassement d’un immeuble par l’architecte en chef des monuments historiques A.C. Perrault.
L’enquête de terrain en cours par onze élèves de l’École de Chaillot vient de confirmer de manière éclatante les similitudes étroites qui existent entre les tours du château et celles conservées de l’enceinte urbaine. Ils ont ainsi mis en valeur une enceinte inédite du premier XIIIe siècle, conservée sur plus des deux tiers de son périmètre. Elle est caractérisée par ses tours circulaires de schiste noir tangentes à l’enceinte, planchéiées et percées d’archères à ébrasement simple croisées d’un étage sur l’autre, identiques à la tour du Vel du château.
Mais, surtout, leur enquête a révélé que la tour de la Bridolle a chemisé vers 1430 une tour du XIIe siècle à trois niveaux d’archères simples à couvrement varié, du simple linteau de schiste au tympan de décharge cintré. Cet enveloppement de la tour primitive a permis de dégager dans ses flancs des canonnières en point d’exclamation témoignant de l’usage encore malhabile de veuglaires à chargement par la culasse posés au sol, dont le recul était absorbé par une poutre transversale ancrée dans les maçonneries. Il a également permis de poser sur la tour deux niveaux de chambres avec cheminée, latrine et baies à coussiège, qui témoignent d’une volonté d’afficher l’autonomie de la communauté urbaine en pendant des deux tours du château accusant un programme similaire.
Ce programme mixte, mi-résidentiel et mi-défensif, est un témoin manifeste de la réussite de la ville et un signe évident à l’encontre de son seigneur.
C’est sur ce secteur particulier que s’installe le projet des élèves. Ainsi, peu à peu au cours de cet hiver, la trace secrète de l’enceinte enfouie s’est révélée aux yeux des habitants. Elle accompagnera à coup sûr désormais le processus de patrimonialisation vers une nouvelle centralité.
Les étudiants ont effectué des visites des sous-sols et arrière-cours des immeubles de la rue de la Borderie et notamment du petit supermarché. Ces investigations, riches en découvertes, ont permis de révéler, sur l’élévation sud de l’enceinte, la présence d’un fossé d’une profondeur moyenne de douze mètres, taillé dans la masse du rocher.
Deux glacis ont été aménagés de façon soignée et régulière sur toute cette profondeur, à l’angle de l’enceinte entre les tours de la Bridolle et des Claviers. Ce travail phénoménal a permis d’éloigner l’assaillant des remparts et constituait vraisemblablement une carrière fournissant la pierre nécessaire à l’élévation des remparts.
En arrière du supermarché, les vestiges d’une tour ont été également découverts. Il ne reste que la moitié nord de cette dernière, mais l’on y voit l’ancienne entrée, et son escalier est toujours en place.
Nicolas FAUCHERRE
Professeur à l’université de Nantes, enseignant à l’École de Chaillot
avec la collaboration des élèves de l’atelier 2004-2006